Séminaire de doctorants Thalim : « Postures périphériques : se mettre à la marge dans les arts et la littérature modernes (XIXe-XXIe siècle) »

Organisateurs : Adrien Bodiot, Hector Jenni, Antoine Poisson

En littérature, la notion de « posture » permet de penser la manière dont un auteur négocie un positionnement artistique à partir d’une position dans un espace donné. Elle a été développée par Jérôme Meizoz (2007, 2011), double héritier des travaux de la sociologie du champ littéraire de Bourdieu (1992) et de l’analyse du discours de Maingueneau (2004) et Amossy (1999, 2010). L’étude des postures d’écrivains fait ainsi tenir ensemble les apports de la sociologie de la littérature et de la rhétorique littéraire. Dans ce cadre, la figure qu’un auteur présente de lui-même dans ses œuvres n’est pas la pure reproduction de sa position sociale dans un champ donné, mais résulte d’une prise de position active qui en reconfigure la portée et l’interprétation, notamment dans la production d’une persona et d’un ethos.

Mis en lumière par Pascale Casanova (1999) et Franco Moretti (2000) à la faveur des premiers travaux sur la littérature mondiale, le couple conceptuel centre/périphérie est devenu un paradigme usuel des études littéraires. Bien qu’éminemment pluriel, polyforme et relatif, il donne à penser les rapports et les connexions que peuvent entretenir les littératures et les acteurs entre eux. Sans nier les critiques adressées à ces notions – et notamment le risque d’essentialisation négative de certaines littératures – nous nous proposons d’observer comment des auteurs en position de périphérie – littéraire, sociale, spatiale, genrée ou raciale – construisent dans leurs textes comme dans leurs interventions publiques des postures qui (re)positionnent leur image dans l’espace culturel auquel ils appartiennent. Il s’agira de voir, à travers l’étude d’exemples divers tirés de corpus littéraires surréalistes, coloniaux et postcoloniaux, des littératures et médias de masse, ou encore de la chanson et du rap, comment la position périphérique d’un auteur, loin de le condamner à la servilité ou au silence, lui donne au contraire l’occasion de négocier une prise de position dans l’espace public, en produisant une image de soi propre à renverser, rétablir ou reconduire certains rapports de pouvoir.

Le séminaire s’appuiera sur des approches interdisciplinaires qui pourront emprunter à l’histoire littéraire, la sociologie de l’art, l’analyse du discours, la rhétorique et la stylistique, et s’appuiera sur certains objets et concepts déjà largement instruits par ces disciplines (champ, discours social, posture, persona, ethos). Ces séances de recherche donneront ainsi l’occasion aux doctorants du laboratoire THALIM de présenter et discuter leurs travaux en cours.

Séances du séminaire

Séance(s) passée(s)

  • L’héritage surréaliste d’après-guerre : vers un surréalisme "à la marge" ?
  • Périphérie des lieux, périphérie des voix : approches écopoétiques en contexte africain
  • Aux marges du champ littéraire : réinventer la posture d’auteur (XIXe-XXIe)

    Modératrice : Aline Marchand

    • Catherine Ménager : « La parrêsia ducampienne : artifice ou athenticité ? »
      Si Maxime Du Camp est peu à peu tombé en disgrâce, c’est essentiellement pour avoir révélé au grand public, dans ses Souvenirs littéraires (1882-1883), l’épilepsie de son ami Gustave Flaubert. En somme, on lui a reproché d’avoir tout dit, d’en avoir trop dit. De son côté, Du Camp n’a cessé de revendiquer sa liberté de parole et de ton au nom d’une éthique du langage reposant sur une sincérité absolue, aussi blessante en soit l’expression. En effet, le franc-parler s’inscrit au cœur de l’ethos de cet écrivain, un franc-parler qu’il semble intéressant de rapprocher de la notion de parrêsia (terme grec qui signifie le fait de « tout dire ») telle que Michel Foucault l’a définie au cours de plusieurs conférences en 1982 et 1983, transcrites notamment dans Discours et vérité (Paris, Vrin, 2016). À partir de quelques autoportraits et portraits dressés par Du Camp, d’une sélection de ses textes, il s’agira de confronter la théorie du philosophe au métadiscours d’un auteur, qui, à y regarder de plus près, avait peut-être des intentions plus nobles que celles qu’on lui a attribuées a posteriori.
    • Quentin Morvan : « Les ambiguïtés de l’auctorialité volodinienne : entre déconstruction du mythe de l’auteur et dépossession agentive »
      Cette présentation proposera quelques linéaments de réflexion autour de la posture d’écrivain d’Antoine Volodine, dont la critique a abondamment documenté la marginalité, la dissidence, et la contestation radicale du régime de propriété auctoriale habituel. L’ethos volodinien, à chaque intervention publique, se construit contre le mythe de l’auteur, ses prérogatives hégémoniques et sacrées ; en contrepoint, l’auctorialité post-exotique s’inscrit dans une économie horizontale et collective de la parole, en actant la dispersion du pôle unitaire de l’auteur derrière une pluralité d’hétéronymes à l’existence éditoriale bien réelle.
      Nous tenterons de discuter cette posture non-hégémonique (contre « l’écrivain dominateur et maître du monde ») en pointant quelques ambiguïtés qui nous semblent consubstantielles au projet même de l’auteur, avant de repérer leur éventuelle actualisation dans l’œuvre romanesque de Volodine. La thèse in fine qu’il s’agira de discuter est la suivante : l’idéal auquel aspire l’édifice post-exotique d’un truchement auctorial enfin escamoté au profit d’un collectif polyphonique ne peut qu’engendrer paradoxalement un renforcement de la figure de l’auteur. Le projet post-exotique, d’essence communautaire et horizontale, porte en lui-même le principe de sa propre contradiction, qu’il figure et thématise dans plusieurs de ses œuvres sous la forme de démiurges omnipotents ventriloquant leurs créatures, et les dépossédant de toute agentivité. L’étude de quelques exemples d’actes (pro)créateurs tirés de divers romans volodiniens nous renseignera ainsi sur le geste postural post-exotique, tel qu’il se représente l’acte de création : un acte enté sur une ambiguïté principielle, puisqu’à la fois démiurgique et non-hégémonique, monumental et dispersé.
    • Beatrice Latini : « La marginalisation des autrices sur TikTok »
      Aujourd’hui, sur « Tiktok France », la littérature est une affaire exclusivement féminine. Entre les critiques du « booktok » et les auteures qui présentent leur travail et leur vie sur ce réseau social, un univers littéraire est en train de se créer, en se posant comme contre-modèle au monde traditionnel et masculin de l’édition. Cette paratopie s’organise autour de caractéristiques unitaires fortes : la production d’une littérature de genre, rétrocédée du monde de l’édition masculine parisienne, ainsi que l’auto-publication de longues sagas, comme un acte de revendication de leur statut auctorial. La posture littéraire, à travers ces nombreux profils très similaires, est donc le résultat à la fois de cette marginalisation de la littérature avec un grand L et de la réaction de ces femmes à ce rejet. L’exploration de ces profils, ainsi que les premiers résultats des entretiens avec ces écrivaines, permettront de poser les bases d’une étude de ce sous-bois littéraire et de questionner le caractère démocratique de la littérature contemporaine que beaucoup, même à Saint-Germain, proclament fièrement.

    Maison de la recherche, salle Mezzanine
    4 rue des Irlandais, Paris 5

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