Pratiques et poétiques de l’espace urbain en contextes postcoloniaux Séminaire 2011-2012

Organisateurs : Aline Bergé, Xavier Garnier

Animé par :

  • Aline Bergé, maître de conférences et Xavier Garnier, professeur Écritures de la modernité (EA 4400 / université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 / CNRS)
  • Marc Kober, maître de conférences

Centre d’études des nouveaux espaces littéraires (CENEL / université Paris 13),
Ce séminaire interdisciplinaire s’intéressera à toutes les formes d’interaction entre les textes et les espaces urbains et périurbains, dans une perspective postcoloniale et transcontinentale. Les différentes pratiques de l’espace qui s’inventent dans les métropoles en mutation sont étroitement associées à des productions de textes qui inscrivent une poétique de la ville. C’est ce lien entre confi gurations urbaines et confi gurations textuelles que nous proposons d’explorer.

La prise en compte des phénomènes migratoires dans les dynamiques de développement, défi guration et/ou recomposition des grandes métropoles mondiales autorise une lecture postcoloniale des textualités urbaines. La contribution de géographes, anthropologues, historiens, sociologues, politologues qui s’intéressent aux questions de textualité, viendra enrichir au cours du séminaire la réflexion littéraire sur la genèse d’une poéticité des grandes métropoles contemporaines.

Séminaire mensuel du programme "Littérature et spatialité" animé par Aline Bergé-Joonekindt, Xavier Garnier et Marc Kober.

Séances du séminaire

Séance(s) passée(s)

  • Delhi la ville improbable, ‘walled city’ ou ‘world city’
  • La poésie de Bombay :du lieu à la totalité-monde, du lieu à l’histoire, genèse et mémoire

    La prochaine séance du séminaire organisé par Aline Bergé et Xavier Garnier accueillera Laetitia Zecchini (CNRS-ARIAS) sur "La poésie de Bombay :du lieu à la totalité-monde, du lieu à l’histoire, genèse et mémoire".

    Bombay, ville multiculturelle, multilingue, multiconfessionnelle par excellence, métropole magnétique façonnée par les migrations, « Star of the East with her face to the West » (Rushdie), « dream city of cosmopolitan desire » (Gyan Prakash), lieu de tous les possibles, les tensions et les enchevêtrements fut également et nous verrons que ça n’a rien d’un hasard, le creuset de la modernité esthétique et poétique en Inde. Bombay est aussi devenu le champ de bataille et le laboratoire des nationalistes hindous, comme d’un certain fondamentalisme culturel. On assiste ainsi à une réécriture identitaire, essentialiste et majoritaire de la nation indienne qui s’exprime par une politique de purgation et d’indigénisation de l’espace, de l’histoire ou de l’identité - au nom d’une idée du propre et de la propriété, en tout cas d’un « proprement » indien.
    Je verrai à partir de l’œuvre bilingue d’Arun Kolatkar (1932-2004) et en particulier de son recueilKala Ghoda Poems (2004)1, du nom d’un quartier du Sud de Bombay, que si « le premier recours est la volonté rêche de rester au lieu », l’œuvre littéraire convient d’autant mieux au lieu « qu’elle établit relation entre ce lieu et la totalité-monde » (Edouard Glissant). « Tout récit est un récit de voyage, une pratique de l’espace », écrit aussi Michel de Certeau, et la poésie narrative de Kolatkar, dans un recueil qui s’ouvre à l’aube et se ferme au crépuscule, fait de Bombay à la fois un lieu et un itinéraire.

    L’espace de l’écriture a à voir avec l’espace de la nation et les frontières de la perception avec des frontières géopolitiques. Le carrefour (« traffic island ») de Kala Ghoda, autour duquel le recueil se déploie, apparait comme une mise en abyme de l’archipel qu’est Bombay. Le poète se refuse à expurger la langue, la topographie, la géographie et l’identité de ses influences dites « exogènes » ou minoritaires charriées par l’histoire, de tous ceux qui ne seraient pas les « fils du sol ». Kolatkar célèbre en anglais, dans une langue « impropre », langue déplacée, langue recyclée (le recyclage est un trope du recueil et de la ville), langue soi-disant « étrangère » (?), Bombay et non Mumbai, telle que celle-ci a été renommée en 1995 par les nationalistes hindous. Le temps dés-enclose notre rapport au lieu et à l’origine. C’est l’historicité de la langue et de l’identité dont témoigne sa poésie, qui joue des détours/transferts/déracinements et entrelacements créatifs et rend impossible le retour à une origine, une filiation ou un récit unique.

    Patiemment, pendant plus de quinze ans, de la même table d’angle dans un café sur le carrefour, Kolatkar a minutieusement observé et enregistré l’ordinaire de Kala Ghoda. Il nous invite à une conversion du regard sur une ville qu’il dépayse et transfigure. Cet îlot au cœur de la circulation s’apparente à une scène où le monde de la rue converge : clochards, ivrognes et paralytiques, chiens errants et gamins des rues, tas d’ordures et pneus crevés, corbeaux, brindilles et objets abandonnés, toute une réalité nomade et incadrable d’ordinaire inaperçue. Kala Ghoda Poemsse caractérise par son hospitalité. Le recueil fait de l’espace, donne du temps à ce « multiple qui surabonde » dont parle Rancière ; retraçant la filiation poétique et celle de Bombay avec tout ce qui est infime, décentré, itinérant, étranger, avec tout ce qui « reste ». C’est ainsi un chien paria, chien bâtard qui ouvre le recueil à l’aube, déployant la ville et le merveilleux à partir de l’horizon que lui offre le trottoir, comme une genèse du monde.

    Enfin, si Kolatkar, flâneur et chineur des trottoirs de Bombay, enregistre et réinvente la ville « pierre à pierre », il recueille aussi « les histoires qui dorment dans les rues », collectionnant articles, journaux, documents, photos et témoignages sur la ville, donnant à voir et à entendre un Bombay de paroles, de mémoires et de micro-histoires.

    1 Publication de la traduction française prévue en 2013, Kala Ghoda. Poèmes de Bombay (Poésie/Gallimard) trad. Pascal Aquien et Laetitia Zecchini.

    Musée du Quai Branly
    37 quai Branly
    75007 Paris.
    Salle de cours n°2 (sous-sol, à droite de l’amphi Claude Lévi-Strauss)

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