La vie, la capacité d’agir et la portée de la littérature participent moins des mots que des gestes, toujours situés, qu’ils portent, inventent ou traduisent : c’est cette expérience corporelle et sensible, commune et cependant énigmatique et extrêmement diverse, qu’on souhaite ici explorer. Car en-deçà et au-delà des pouvoirs et des savoirs de l’écrit (Jack Goody, 2007), ces gestes appellent et interrogent nos façons d’entrer (ou non) en relation avec les autres et le monde. Ils trouvent ou non écho ou place en nous et chez les autres. Enfin, ils nous orientent, dans nos lectures et dans nos vies. De Rimbaud et Rousseau, Claude Levi-Strauss et Michel Agier font ainsi passer : « Je est un autre » et « l’autre est un je ». Gestes d’hier et d’aujourd’hui, gestes verbaux et non verbaux, gestes humains et non humains, qui se relaient ou non à travers les espaces, les langues et les cultures du monde. Ecouter, lire, écrire. Mais aussi projeter, agir ou non dans le monde, rencontrer l’autre, habiter la terre : la littérature intéresse l’anthropologie mais aussi l’écologie et tous les savoirs du vivant. Poursuivant l’état des lieux des études anthropologiques, historiques, philosophiques et littéraires sur le geste amorcé en 2014-2015 pour l’ouvrir à quelques apports récents de la psychanalyse et des sciences cognitives, on consacrera cette séance à l’écoute de quelques écrivains, Philippe Jaccottet, Pierre-Albert Jourdan et Nicolas Bouvier, là où ces voix font entendre une expérience et une compréhension « plus globale », « moins égocentrée » (Alain Berthoz, 2015) et moins discontinue de notre relation au monde : une éthique, une politique et une écologie du geste.
Aline Bergé est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et membre de THALIM. Auteur de livres sur la question du paysage (Philippe Jaccottet, Trajectoires et constellations ? Lieux, livres, paysages, Lausanne, Payot, 2004 ; Paysage & Modernité(s), en co-dir. avec M. Collot, Bruxelles, Ousia, 2007 ; Paysages européens et mondialisation, en co-dir. avec M. Collot et J. Mottet, Seyssel, Champ Vallon, 2012), elle a co-dirigé avec B. Alazet la section « Littérature française XXe siècle (France et francophonie) » du Dictionnaire universel des créatrices, M. Calle-Gruber, B. Didier et A. Fouque dir., éditions Des femmes, 2013, 3 vol. Ses travaux portent sur les relations des littératures francophones avec les arts, les sciences humaines et les sciences du vivant, les théories de la spatialité et des mondialisations, les études postcoloniales et de genre.