L’Intervalle : objets, discours, pratiques Séminaire CEEI-THALIM 2022-2023

Organisateurs : Hélène Campaignolle-Catel, Marianne Simon-Oikawa, Florence Dumora

Qu’il s’agisse d’inscriptions graphiques, de motifs iconiques ou de signes d’écriture, les figures disposées sur une surface sont généralement séparées par des espaces perçus comme vides, notre regard se portant plus naturellement vers les figures ou les signes eux-mêmes.
Ces zones séparatrices, dans lesquelles rien n’est représenté ni écrit et qui occupent dans certains cas de larges parties du support, ont été approchées, selon des perspectives très différentes, par des auteurs tels que Meyer Shapiro, Louis Marin, Jacques Derrida1, Anne-Marie Christin2, ou Georges Didi-Huberman3. Derrida par exemple utilise la notion d’intervalle comme terme englobant dans son approche grammatologique de l’écriture : « l’espace (pause blanc ponctuation intervalle en général) qui constitue l’origine de la signification »4, écrit-il. Anne-Marie Christin rappelle de son côté que, si en Occident les zones du support dénuées de figures sont associées à l’absence et au manque, en Extrême-Orient elles sont au contraire conçues de manière positive :

« À l’origine de l’écriture chinoise comme à celle du paysage peint, l’expérience fondatrice n’est pas celle de la trace mais du « vide » – c’est-à-dire de l’intervalle – grâce auquel toute communication entre une surface donnée et le monde qui la transcende est susceptible de s’ouvrir. »5

à la lumière de ces travaux, et dans le prolongement du colloque « Espaces du blanc : concepts et pratiques » (2021), le séminaire se propose d’ouvrir l’espace de la réflexion en abordant l’intervalle de façon plus systématique. En se gardant d’un double écueil, ignorer ou minorer tout rôle productif de ces espaces intermédiaires d’une part, ou leur assigner une valeur unique ou restrictive d’autre part, les interventions s’intéresseront aux fonctions plurielles que remplissent ces « entre-deux » dans des domaines culturels divers et selon des approches disciplinaires complémentaires.


1. Meyer Schapiro, Blaise Allan, Daniel Arasse et al., Style, artiste et société, Paris, Gallimard [1969] 1982.
2. Louis Marin, De la représentation, Seuil/Gallimard, 1994.
3. Georges Didi-Huberman, Blancs soucis, Paris, Éditions de Minuit, 2013.
4. Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1967.
5. Anne-Marie Christin, Poétique du blanc. Vide et intervalle dans la civilisation de l’alphabet, Paris, Vrin, 2009.

Séances du séminaire

Séance(s) passée(s)

  • Laurent Long, « Connais le blanc, adhère au pourpre, espace et densité dans la composition des sceaux chinois » ; Cédric Laurent, « Narrations interrompues, raccourcis et suggestions dans la peinture chinoise classique »

    • Laurent Long (Graveur de sceaux, Académie d’art sigillaire de Xiling, Hangzhou, Chine), « Connais le blanc, adhère au pourpre, espace et densité dans la composition des sceaux chinois »
    • Cédric Laurent (Université de Rennes 11), « Narrations interrompues, raccourcis et suggestions dans la peinture chinoise classique »

    Pour cette sixième séance du séminaire CEEI-THALIM « L’Intervalle : objets, discours, pratiques », nous accueillerons deux intervenants, Cédric Laurent (Professeur à l’Université Rennes 2) et Laurent Long (membre de l’académie d’Art sigillaire de Xiling, et de la Société Asiatique). La modération sera assurée par Alice Bianchi, Maîtresse de conférences en études chinoises à l’Université Paris Cité.

    La séance se déroulera en hybride le mardi 30 mai 2023, de 14h à 16h : en présentiel à l’Institut national d’histoire de l’art (2 rue Vivienne, 75002 Paris), en salle Benjamin, et en visioconférence sur zoom. Pour obtenir le lien, écrire à : dumoraflore chez gmail.com

    Cédric Laurent, « Narrations interrompues, raccourcis et suggestions dans la peinture chinoise classique »

    Présentation

    L’esthétique du vide a déjà fait l’objet de nombreuses études théoriques et d’analyses d’œuvres dans l’art chinois classique (Xe-XVIIIe siècles). Cette « évacuation » de l’image au profit de la suggestion peut toutefois être abordée différemment dans un corpus d’œuvres historiées moins étudiées. Rapportées à la question de la narration, les interruptions et les raccourcis sont des procédés évidents et nécessaires qui permettent de comprendre une image dans une temporalité.

    Nous commencerons par la « lecture » de quelques rouleaux narratifs pour analyser les procédés auxquels les peintres ont recouru dans la mise en image d’une histoire, puis nous étendrons notre réflexion à d’autres images multi-séquentielles qui montrent la diversité des procédés mis en œuvre par les peintres chinois pour raconter. Ces principes d’interruption et de suggestion permettront enfin de resituer des œuvres a priori non historiées dans une perspective temporelle.

    Bio-bibliographie

    Cédric Laurent, professeur en langue, littérature et civilisation chinoises (Université Rennes 2) enseigne la littérature classique et l’histoire de l’art chinois. Il mène des recherches sur les relations entre la peinture et la littérature en Chine. Ses travaux sur la peinture Ming (1368-1644) consistent en un décryptage des motifs peints à l’éclairage de la littérature classique. Ses recherches s’ouvrent sur une large variété de domaines, de la peinture érotique, à la culture de l’encens et même à l’art contemporain. Cette approche permet notamment de comprendre les significations oubliées d’images trop souvent perçues comme de simples paysages.

    Il a notamment publié : Voyages immobiles dans la prose ancienne : la peinture narrative sous la dynastie Ming, Paris, Les Belles Lettres, 201 ; Retrouver son Cœur : La méditation dans la peinture et la poésie chinoises du XVe au XVIIe siècle, Paris, L’Asiathèque, 2021.

    Laurent Long, « “Connais le blanc, adhère au pourpre”, espace et densité dans la création des sceaux chinois »

    Présentation

    Si la nature grecque « a horreur du vide », il est au cœur de la pensée esthétique chinoise, notamment dans le taoïsme de Laozi (-IVe siècle) non comme absence, mais comme lieu de toutes les potentialités. Il se manifeste dans la peinture, de paysage en particulier, dans la composition d’une calligraphie, en poésie, en musique pour cithare qin et dans l’art des sceaux. Tous jouent du prolongement muet, du creux, du non exprimé. Les principes de la composition d’un sceau, théorisés dès le début du XIVe siècle, plus encore depuis le XVIIe, visent à une cohérence d’ensemble, à un équilibre éloigné de la symétrie entre espaces et pleins. Bien plus que par la théorie, le commentaire d’une dizaine de cachets de toutes époques fera percevoir la manière dont les créateurs gèrent l’espace, non seulement en chinois, écriture très riche en variantes plus ou moins complexes, étirées en hauteur ou en largeur, mais encore en caractères latins. Ceci pourrait inspirer les graphistes en Chine et au-delà.

    Bio-bibliographie

    Né en 1962, Laurent Long 龍樂恒 est docteur en chinois diplômé de l’INALCO, graveur de sceaux depuis plus de 30 ans, expert en inscriptions chinoises, membre de l’académie d’art sigillaire de Xiling 西泠印社, fondée en 1904, et de la Société Asiatique. Il a coopéré aux rubriques « Art militaire », « Administration », et « Erotisme » du Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise, tout en y introduisant le vocabulaire de la sigillographie. Reconnu en Chine pour ses talents et son expertise, il publie régulièrement sur les sceaux chinois dans des ouvrages européens du XVIe au XVIIIe siècle, ainsi que des collections de cachets. 論印尋道 (Une quête du Principe dans la gravure des sceaux) et 閒御東風 (Chevauchant sans soucis le vent d’est) ont paru à Taiwan.

    Publications récentes sur les sceaux

    Paysages dans un pouce carré chez les Chinois d’aujourd’hui : Les sceaux dans leur rapport à l’image, dans Art Asie Sorbonne, « Images écrites dans la Chine d’aujourd’hui I », numéro dirigé par Antoine Gournay, Marie Laureillard et Li Shiyan, décembre 2021, p. 5-37. (https://creops.hypotheses.org/category/la-revue-asie) ; 西儒初問金石:阿塔納修斯·吉歇爾論古文字初探 (Premiers pas d’un lettré d’Occident en paléographie chinoise : prolégomènes sur les recherches d’Athanase Kircher (1602-1680) concernant les écritures anciennes), dans « Diliujie ‘Gushan zheng yin’ Xiling yinshe yinxue guoji yinxue fenghui lunwenji », Xiling yinshe ; Hangzhou, 2020, vol. 2, p. 681-698 ; Elle prend la mer à bord d’un galion : comment l’anecdote « Un censeur perd son sceau officiel » fut transmise en Europe, dans L’Orient dans le monde hispanique et lusophone, actes du colloque du Centre d’Études Hispaniques d’Amiens, Université de Picardie Jules Verne, Binges, Orbis Tertius, 2020. p. 99-118.

    INHA, 2 rue Vivienne, Paris 2
    Salle Benjamin

  • Blanche Delaborde, « Intervalles et mahaku : métamorphoses de la mise en page dans les mangas pour filles » ; Norbert Danysz, « Vides et intervalles dans la première bande dessinée chinoise : des lianhuanhua en blanc et noir »
  • Elora Weill Engerer, « Lever les yeux de l’œuvre : l’intervalle dans le dispositif d’exposition » ; Nathalie Dietschy, « A intervalles : écarts et variations dans les ensembles photographiques contemporains »
  • Estelle lngrand-Varenne, « Matérialités de l’intervalle dans les inscriptions médiévales » ; Anne Rochebouet « Pragmatique et herméneutique de l’entre-deux dans la mise en page de quelques manuscrits médiévaux (latin et français) »
  • Florence Dumora, « Louis Marin et la conception de l’intervalle » ; Vincent Debiais, « Informel et intervalle de l’image médiévale »
  • Groupe μ, « Théorie générale de l’intervalle »
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