La Parole dans l’œuvre d’Albert Cohen Journée d’étude

Organisateur : Alain Schaffner

Sorbonne Nouvelle - Paris 3, Salle Las Vergnas (3e étage)
13 rue Santeuil
75005 Paris

« Aucun lecteur de l’œuvre de Cohen ne peut oublier les incorrigibles bavards qui cherchent constamment à y occuper le devant de la scène, de Scipion à Mangeclous, grand péroreur devant l’Eternel, en passant par Adrien, intarissable commentateur de son succès social. Le « cours de séduction à l’université de Céphalonie » dans Les Valeureux, ou le « discours de séduction » de Solal dans Belle du Seigneur comptent sans nul doute parmi les plus longues prises de parole d’un personnage dans le roman occidental. Paroles solitaires, les soliloques d’Ariane dans son bain et de Mariette dans sa cuisine occupent un volume de pages important et sont proches par certains aspects des monologues intérieurs de James Joyce ou Valery Larbaud. Parole collective, ou communautaire, celle des cinq cousins céphaloniens qui ont instauré un dialogue perpétuel et se gorgent de mots parfois archaïques ou ronflants. Si on ne se limite pas aux romans, on constate que l’œuvre est née dans des poèmes intitulés « paroles » (Paroles juives) avant de se diriger vers le dialogue de théâtre (Ezéchiel), qu’elle a subi pendant la guerre une inflexion la conduisant d’un côté vers le choix d’une parole polémique à vocation collective et de l’autre d’une parole plus intime, voix élégiaque de l’autobiographie (Chant de mort). Les romans eux-mêmes sont éminemment polyphoniques et l’œuvre dans son ensemble bruit de multiples voix comme l’ont bien montré les analyses linguistiques, par exemple les travaux de Bertrand Goergen ou de Claire Stolz.

La langue de Cohen s’inscrit aussi par bien des aspects dans un travail de transcription, ou de transposition, de l’oralité, celui des romanciers des années 30, époque que Jérôme Meizoz a joliment qualifiée d’ « âge du roman parlant ». De ce point de vue, Cohen mérite incontestablement d’être comparé à d’autres romanciers tâchant de faire passer la langue orale dans la langue écrite, comme Queneau (voir Mathieu Bélisle), Céline (Nathalie Fix-Combe) ou Romain Gary (Annie Dayan-Rosenman). La dimension sociale de la parole, qui véhicule parfois les stéréotypes les plus dangereux (dialogue des tricoteuses) pourrait elle aussi être explorée de manière plus approfondie.

La parole des hommes engage en effet non seulement l’éthos mais le rapport à la vérité (il peut se tromper, ou mentir) de celui qui la donne. « Personne avant elle, personne après elle », déclare ainsi Solal à propos d’Ariane et cette déclaration aux allures de serment porte en elle le destin fatal du couple. Une réflexion métaphysique, philosophique et religieuse peut ainsi s’engager (Carole Auroy, Maxime Decout) à partir des travaux de Paul Ricoeur, d’Emmanuel Levinas ou de René Girard. La question théologique n’est naturellement pas absente : quel crédit accorder à la parole divine, ne cessent de demander les essais autobiographiques, interrogeant inlassablement les textes sacrés ?

La « parole » apparaît ainsi centrale dans l’œuvre de Cohen ; cette journée d’étude tâchera de questionner les différentes acceptions du terme.

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