Au début du 20e siècle, les mouvements missionnaires nord-américains adoptèrent la photographie comme l’un des outils d’une nouvelle « science des missions ». Sous la direction de bureaucraties de plus en plus centralisées, des enquêtes statistiques menées aux Etats-Unis comme sur d’autres continents s’appuyaient sur l’image pour remplir les objectifs soulignés en 1916 par la conférence sur le travail missionnaire dans les Amérique organisée à Panama, et consacrée à la nécessité de « rassembler les forces chrétiennes pour une discussion scientifique des dynamiques et de l’efficacité des missions ».[1]
Dans ce cadre, la photographie était considérée comme un outil d’investigation et de collecte d’information, de communication en vue de levées de fonds, et de motivation des acteurs de l’action missionnaire. Dans cette perspective, le Bureau des Missions de l’Eglise Episcopale américaine était particulièrement actif dans la production et la collecte d’images du monde, mises ensuite à la disposition des médias et des congrégations. Cette circulation de photographies semblait réaliser la prédiction d’Oliver Wendell Holmes, qui dès les années 1870 annonçait que le monde ne tarderait pas à être entièrement archivé sous formes d’images, circulant à travers un « système d’échange », une gigantesque bibliothèque.[2] La photographie est conçue comme un moyen d’ordonner le monde et de se l’approprier.
Les 13 albums “sud-américains” aujourd’hui entreposés à la Commission des archives et de l’histoire de l’Eglise méthodiste démontrent néanmoins que la photographie – malgré ses qualités d’image « scientifique » - est un outil qui se plie difficilement aux nécessité de la standardisation et de la systématisation. Les photographes professionnels et amateurs qui contribuèrent à ces volumes s’appuyaient sur des traditions déjà établies telles que le portrait ethnographique ou la photographie de paysages, mais ils contribuaient aussi à la construction de nouvelles pratiques, qu’elles soient inspirées par Kodak ou par le photographe documentaire Lewis W. Hine. Les missionnaires et les photographes qui travaillaient pour eux s’aventuraient parfois dans le domaine du reportage social. Ils envoyaient à New York des photos de voyage, des photos de famille, et des photos de classe. L’archive qui en résulte, et dont on ne peut que supposer qu’elle répondait à des objectifs pratiques de classification et de facilité d’indexation, est en réalité le reflet de ce qu’Elizabeth Edwards a décrit comme “the serendipitous massing of discrete pieces of data.”[3]
Nous tenterons de suggérer quelques-unes des difficultés et des questions soulevées par cette pratique visuelle relevant à la fois de la science et du hasard, de la volonté d’organiser une archive fonctionnelle tout en élaborant un album de la famille méthodiste.
INHA, salle Mariette
2 rue Vivienne ou 6 rue des Petits Champs
75002 Paris