Pierre Senges, l’invention érudite Journée d’étude

Organisateur : Bruno Blanckeman

Organisée par Audrey Camus, Laurent Demanze & Bruno Blanckeman dans le cadre des activités du CERACC, cette journée d’étude se déroulera en présence de l’auteur.

Dans les « leçons américaines » qu’il écrivait pour l’Université Harvard, Italo Calvino esquissait les contours de la littérature à venir à travers les notions de légèreté, rapidité, exactitude, visibilité et multiplicité ». La dernière de ces conférences célèbre la forme de l’encyclopédie ouverte, qui relie selon Calvino les œuvres majeures du XXe siècle et dont il appelle la perpétuation de ses vœux. Sont notamment cités Thomas Mann, Joyce, Musil et Proust, mais aussi Gadda, Lichtenberg, Borges, ou encore le Flaubert de Bouvard et Pécuchet, en lesquels on reconnaît les lectures favorites de Pierre Senges.

Et s’il est un écrivain qui semble avoir entendu l’appel des Leçons américaines, c’est bien Pierre Senges. Son premier livre, en forme d’anatomie, exauce en effet le souhait de son aîné au seuil du millénaire, en faisant de l’érudition un véritable conte de fées. Au début de Veuves au maquillage, le commis aux écritures dans l’ombre duquel se tient le romancier explique ainsi que son métier « l’oblige à se fournir en documentations, en archives », avant d’évoquer sa prédilection pour « les Œuvres Complètes d’un chirurgien du roi datant du siècle des cautères, deux mille pages traitant d’anatomie, de bandages, de vérole, de monstres, d’enfant sans tête, de comète en forme d’épée, et de voyages ». Ce nouveau livre des merveilles – dans lequel le lecteur perspicace aura reconnu l’ouvrage d’Ambroise Paré – donnera naissance à la fiction, en même temps qu’à l’œuvre de Pierre Senges qu’elle inaugure.

Depuis, en effet, les livres se sont multipliés, explorant chacun à son tour un territoire des savoirs – géographique (La Réfutation majeure, Environs et mesures…), botanique (Ruines-de-Rome), scientifique (Essais fragiles d’aplomb…) ou littéraire (Sort l’assassin entre le spectre, Fragments de Lichtenberg, Études de silhouettes) – pour constituer parcelle par parcelle une encyclopédie érudite et inventive. L’érudition, loin de constituer une clôture de l’attesté ou un emprisonnement dans les rets d’une réalité intangible, y apparaît au contraire comme une puissance de désordre, bouleversant les représentations et ébranlant les certitudes. L’œuvre de Pierre Senges s’inscrit par là dans cette littérature contemporaine qui, comme Nathalie Piégay-Gros l’a récemment rappelé, réarticule fortement les savoirs et la littérature, s’enfonce dans l’érudition mais pour y puiser une puissante sollicitation de l’imaginaire.

Cette réflexion collective s’attachera donc principalement à analyser à travers l’œuvre singulière de Pierre Senges les rapports renouvelés de l’invention et de l’érudition, la première convoquant l’autre pour mieux la violenter par un déport ironique et des renversements burlesques. Alors qu’installé dans la bibliothèque, l’écrivain brouille les références, efface les écritures ou leur adjoint ses productions apocryphes, on pourra notamment étudier ces figures de l’intertextualité que sont le copiste, le faussaire ou l’imposteur ; examiner cette puissance d’enchantement que l’auteur sollicite dans les savoirs moins pour découvrir la vérité que pour la contester ; s’interroger sur ces tournures baroques qui constituent un éloge lucide des apparences, non dénué de portée subversive.

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