Gérard Pelé (professeur à l’Ecole normale supérieure Louis Lumière, Institut d’esthétique des arts contemporains, UMR 8592, Université Paris 1)
En l’absence de toute stimulation sonore, les récepteurs cochléaires développent une énergie spontanée de fréquence instantanée très variable, par exemple 5 à 70 influx par seconde pour le chat anesthésié. Lorsqu’un son apparaît, cette activité se renforce et se synchronise sur le stimulus. Il semblerait donc que, pour qu’une sensation auditive ait lieu, il soit nécessaire que le son excite un organe déjà animé par la même forme d’énergie, qui sera ensuite transmise aux centres sensoriels. Cette « activité spontanée » a les allures d’un bruit de fond, et son caractère essentiel est de produire de la durée – et, peut-être, le temps lui-même. L’hypothèse d’un bruit de fond nécessaire au fonctionnement de notre audition pourrait ainsi être étendue à nos autres organes sensoriels, à ce que nous produisons quand nous en faisons usage et, finalement, à tout ce qui existe. Le bruit de fond ne serait pas la trace « fossile » de l’histoire de l’univers, mais sa nourrice. Tout ce qui « est » dépendrait de l’énergie qu’il exprime et dans laquelle les « choses » puiseraient leur existence, et il n’est pas sans intérêt de remarquer que, dans cette conception du monde, c’est la forme d’énergie la plus dégradée, si l’on adhère aux analyses de la thermodynamique, qui serait la source et le substrat de tout ce qui se distingue et se signale en s’individuant. La conséquence inévitable des théories et des observations convoquées dans cette proposition serait que cette énergie est nécessaire et inépuisable parce que, à chaque instant, elle se renouvellerait dans la même proportion que meurent les systèmes organisés.
Point bibliographique : Noémie Fargier (doctorante, études théâtrales, Paris 3)
Cage, John, Silence : discours et écrits, trad. Monique Fong, Paris, Denoël, 1972 [Wesleyan University Press, 1961]. Lyotard, « Plusieurs silences », in Des dispositifs pulsionnels, 10/18, 1973.
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